Denis Naegelen: « Les Internationaux de Strasbourg, premier tournoi féminin après Roland Garros »
A l’occasion de la 32ème édition des Internationaux de Strasbourg qui débute ce vendredi, entretien avec Denis Naegelen. Il est le fondateur de l’agence Quaterback, organisatrice du tournoi depuis 2010.
Le Sport Business : Quel est l’historique des Internationaux de Strasbourg ?
Les Internationaux de Strasbourg ont été créés en 1987 par la Ligue d’Alsace de Tennis qui avait été séduite par un américain vivant à Strasbourg dont la fille pratiquait à bon niveau dans le système universitaire américain. Il a convaincu la Ligue de l’intérêt du tennis féminin et de son développement futur, notamment suite à la création de WTA en 1973. Le tournoi a débuté au Lawn Tennis Club de Strasbourg, lieu avec lequel j’ai un lien personnel car il a marqué ma jeunesse dans le tennis. Ce club n’existe plus car il a été poussé dehors par la ville mais il a été relocalisé pour devenir le Tennis Club de Strasbourg.
Ce tournoi a été repris par des bénévoles mais sa gestion devenait de plus en plus contraignante vu que le circuit s’organisait et les demandes financières ont commencé à être un vrai problème. La Ligue a tenu bon sur l’organisation mais certaines limites sont difficiles à gérer, notamment sur des aspects marketing ou de recherche de partenariats. Le tournoi a commencé à s’essouffler et à s’endetter et la Fédération Française de Tennis a fait le choix de le racheter pour qu’il puisse rester à Strasbourg et a ensuite organisé les éditions 2008 et 2009 avec l’un des directeurs de Roland-Garros à sa tête. Suite aux élections internes de la FFT en 2009, une nouvelle direction est élue et un changement de position s’opère pour le tournoi : il n’est plus du rôle de la FFT de l’organiser et elle décide de vendre. Entre sa création et 2009, les Internationaux de Strasbourg sont devenus une réelle propriété commerciale, il n’y avait plus de création de date dans le circuit mondial et le seul moyen d’organiser un tournoi était de racheter une date du calendrier. Suite à l’appel d’offre, plus d’une dizaine de candidats se manifestent et c’est Quarterback qui le remporte en 2010.
Premier gros challenge, nous n’avons eu que 2 mois pour organiser l’édition de 2010 et convaincre l’équipe précédente de continuer avec moi, à l’époque entre 50 et 80 bénévoles, pas loin de 150 aujourd’hui. Je voulais leur montrer que la démarche était la même malgré le but commercial, surtout de promouvoir la région et non de le revendre. La première édition sous les couleurs de Quarterback a eu lieu en mai 2010 à Hautepierre, lieu historique du tournoi.
Comment êtes-vous arrivé à introduire l’éco-responsabilité comme pilier du tournoi et élément de votre communication ?
J’étais passé par une période personnelle difficile, ce qui m’a poussé à changer ma manière de travailler et de vivre. L’éco-responsabilité était un concept encore très flou et peu compris à l’époque mais qui me tenait à cœur. L’événementiel sportif est un moyen de faire passer des messages d’un point de vue sociétal et cette cause nous a paru très intéressante à défendre. Nous voulions mettre en place une vraie action sociétale et pas que des actions ciblées autour des émissions carbones.
Nous avions récupéré beaucoup d’informations sur l’événement, ce qui nous a permis d’établir un premier bilan carbone prévisionnel de l’événement concernant le transport, la nourriture, les déchets… Quand on est pas expert dans un domaine, on le devient très vite et nous avons voulu être le plus pragmatique possible. J’ai donc imposé à mes équipes que pour toute dépense de 150€, je voulais avoir de preuve de la provenance, du transport et de la production. Nous avons donc commencé à produire des affiches avec des produits non toxiques, améliorer le transport de nos livraisons et cibler les produits français, notamment pour l’offre hospitalité pour laquelle j’avais une vraie ambition.
Ce nouveau positionnement a vite été porteur de médiatisation et les marques ont été séduites de pouvoir mettre en avant leurs pratiques vertueuses, initiative plus impactante que l’achat d’une page de publicité. Ce nouveau type de communication leur permet surtout de toucher une nouvelle cible et d’avoir un autre discours très concret.
Les transports en commun et la mobilité à Strasbourg sont beaucoup plus développés que dans le reste du pays, que ce soit le tram, le vélo ou encore les zones piétonnes. Nous avons mis en place une réduction pour les personnes venant en transports avec une réduction de 3€ sur le prix du billet sur présentation du ticket, entièrement financée par Quarterback. J’ai également très vite compris que les véhicules officiels (presse, joueurs, transports à travers la ville), devaient également suivre la même voie car symbole du tournoi aux yeux du public. Nous avons donc rompu notre précédent contrat avec une marque automobile pour développer une nouvelle collaboration avec BMW, qui avait déjà l’ambition en 2011 de s’engager dans la voie du véhicule électrique. La majeure partie de leurs assets était dans le rugby mais l’éco-responsabilité était un nouveau terrain d’expression pour la marque et BMW nous accompagne encore aujourd’hui.
Nous sommes devenus un cas unique dans le sport à cette époque et l’ADEME a utilisé les Internationaux de Strasbourg comme référence pour les actions éco-responsables dans le sport. Pour assumer définitivement ce virage, nous avons ajouté, en accord avec l’ADEME, le terme éco-responsable dans le logo officiel du tournoi. Je pense tout de même que nous avons poussé le principe de l’éco-responsabilité beaucoup plus loin que tout le monde, comme par exemple avec la balle de tennis. Dans la nature, une balle de tennis peut mettre plusieurs dizaines d’années pour se décomposer et le recyclage est donc obligatoire. La FFT avait déjà réfléchi pour Roland-Garros afin de récupérer des balles et les transformer en granulé pour reconstruire des tapis de jeux pour les écoles ou les hôpitaux.
Quels sont les résultats de ces initiatives ?
Nous avons repris l’idée et poussé le concept beaucoup plus loin car en plus des balles du tournoi, nous demandons à nos spectateurs de ramener les leurs, 12 balles ramenées = 4 balles neuves du tournoi.
Encore une fois, c’est un investissement de notre part pour sensibiliser le public et les résultats sont là : plus de 20 000 balles rapportées l’année dernière, soit presque, presque une par spectateur. Nous recyclons aussi nos bâches de fond de court sous la forme d’objets du quotidien comme des pochettes d’ordinateur que nous revendons ou utilisons comme cadeaux.
Nous avons mis en place des ateliers pour sensibiliser les spectateurs, et avons créé des partenariats avec des associations pour redonner toute la nourriture qui n’a pas été consommée chaque jour dans nos espaces réceptifs. L’année dernière nous avons redistribué près de 500 kilos, j’aime vraiment cette action qui est vraiment utile et montre le vrai impact sociétal que nous pouvons avoir.
Le développement des Internationaux de Strasbourg a également eu une influence sur l’économie locale ?
Quand Quaterback a récupéré les Internationaux de Strasbourg, je me suis engagé à donner une nouvelle réputation à l’événement. Nous avons mis en œuvre beaucoup de moyens, notamment en 2010 quand nous avons réussi à faire venir Sharapova, un grand coup marketing pour nous. Sharapova a en plus gagné le tournoi, ce qui nous a permis de rentrer dans une autre dimension où les joueuses se sont intéressées au tournoi avec l’envie d’y participer. Les partenaires locaux et la presse qui, à l’époque n’étaient pas très emballés sur notre nouvelle stratégie, ont vite changé d’état d’esprit. Nous n’avions qu’une seule télé, FR3 via Roland-Garros, pour finir avec 5 pays grâce à Sharapova, et pour la première fois des demis et la finale sold out. Son passage a changé la perception des l’événement et nous a permis d’avoir une meilleure considération de l’ensemble des acteurs du secteur.
En 2012, nous avons opéré le déménagement du tournoi, ce qui était important pour donner une novelle dimension à l’événement. Notre force est d’avoir pu installer au pied du parlement européen notre central, donnant également un nouvel axe télégénique. Le succès a été immédiat car cette nouvelle situation au cœur de la ville et les accès facilités ont permis à davantage de personnes de venir. Dans le même temps, nous avons transformé notre village, avec une réflexion particulière sur l’espace hospitalité que nous avons transformé en une vraie expérience VIP avec des chefs étoilés et des espaces privatifs.
Nous n’avons jamais demandé d’étude d’impact économique, mais je pense que nous sommes sûrement à plus de 2 millions d’euros en retombées directes. Nous avons près de 25 000 spectateurs sur toute la durée du tournoi et nous estimons au moins 15 000 spectateurs uniques sur une zone de chalandise de 100 kilomètres. Les déplacements, la consommation et l’hébergement de ces spectateurs sont évidemment très positifs pour l’économie locale. Les Internationaux de Strasbourg permettent surtout une retombée d’image très forte pour Strasbourg et sa région avec 135 pays en retransmettant le tournoi.
Le tournoi de Strasbourg est un événement important dans la mise en avant du sport féminin, que pensez-vous de son développement intense ces dernières années ?
J’ai toujours eu une vraie envie de développer le sport féminin. C’est une vraie politique économique dans le sport actuellement et nous sommes un des acteurs à avoir poussé dans ce sens. Je suis convaincu qu’un événement sportif à la capacité d’être un média et de diffuser d’autres valeurs que le sport, dans notre cas la place des femmes dans la société, l’éco-responsabilité ou encore le handicap. Nous ne faisons pas simplement une diffusion de matchs de tennis, nous avons une responsabilité et un impact sur la vie sociale locale.
Les organisateurs d’événements sportifs doivent transmettre un autre message que le seul but de leur événement car le sport a responsabilité énorme. C’est un investissement conséquent mais avec un vrai retour, peu de personnes étaient convaincu par l’éco-responsabilité et le sport féminin mais l’exemple gagnant des Internationaux de Strasbourg prouve que c’est possible. Ce tournoi est disruptif et porteur de valeurs fortes et intéressantes pour les annonceurs, toutes les marques cherchent à l’être aujourd’hui.
Engie est également un exemple parfait de ce type de réflexion car malgré une réduction budgétaire de l’ensemble de ses investissements dans le sport mais a recentré une majeure partie sur Strasbourg. En effet, le tournoi est porteur des 2 valeurs de l’entreprise : le sport féminin et l’éco-responsabilité, ce qui représente un positionnement fort de la marque et un réel atout marketing.
Comment voyez-vous l’avenir du tournoi ?
Depuis quelques mois, je suis très serein quant à son futur. Les dernières années ont été difficiles car nous avons du faire face à un projet pour la survie de la WTA, mené par ses dirigeants financiers, qui visait à passer de 72 tournois à 40, pour permettre une division des droits plus avantageuse. Ce projet n’est finalement pas passé, ce qui me permet d’être rassuré sur la pérennité des Internationaux de Strasbourg et de pouvoir garder le même niveau de prestation.
Nous n’avons pas joueuses dans le top 5 car elles font rarement un tournoi avant un grand schlem et nous n’aurons peut-être plus de Sharapova. On peut néanmoins avoir le cas de figure d’une joueuse blessée qui aura besoin d’un tournoi avant mais cette catégorie de joueuses n’est pas notre objectif. Pour nous c’est le top 50, les autres tournois ont quasiment 3% de joueuses dedans et nous nous situons entre 10 et 16%, ce qui fait des Internationaux de Strasbourg le premier tournoi féminin derrière Roland-Garros, à nuancer car Roland reste cependant un tournoi mixte. Je peux me permettre de dire que notre tournoi est le premier événement féminin de France avec plus de 25 000 spectateurs.
Nous restons évidemment à l’écoute de l’évolution du circuit mais il n’y a pas d’évolution majeure à venir pour les IS. Nous voulons surtout faire encore mieux dans ce qui est déjà mis en place, avec un focus sur l’expérience client que nous allons pousser beaucoup plus loin grâce au digital et à l’exploitation de nos datas.